L’école des saisons & la rémission

L’heure est au bilan, les amis. Un bilan estival en quatre temps. Ou plutôt, en quatre saisons.

Le rayonnement du printemps, la légèreté de l’été, l’assombrissement de l’automne et la régénération (parfois léthargique) de l’hiver. Tout ceci teinté par les traces post-traumatiques d’une certaine maladie et, exacerbé par l’intensité de l’hypersensible, maintenant assumée, que je suis. Un petit été ordinaire, quoi.

Tout commence par l’heureuse éclosion d’un retour à la maison : un déménagement dans un village heureux, ouvert, éveillé, familial, inclusif et vibrant de tout, partout. Un endroit que j’ai envie d’appeler maison. Le premier, depuis mon départ de Montréal il y a trois ans, qui ne me donne pas envie de repartir après trois mois. Uff, c’est reposant.

Puis, rapidement, la vie me gâte avec de nouvelles rencontres. Des connexions nourries par le cœur. Le genre que je manifeste depuis des lunes, il me semble. Des liens se tissent, ou se retissent, l’âme sourit. Et soudainement, cette sécurité relationnelle impalpable depuis la maladie, commence à se faire sentir en moi. Uff. Qu’est-ce que c’est bon le souffle profond.

Même au sein de cette belle communauté que j’ai côtoyée au Mexique pendant trois ans, j’avais soif de sœurs de cœur, de soeurs médecine. Les rencontres enrichissantes étaient courantes et les visions communes omniprésentes, mais ce sentiment d’appartenance et de réelle sororité manquait toujours à l’appel. Bref, heureuse, je suis. Merci la vie.

Mais, étant donné que je suis bel et bien à l’école de la vie, et ce, tant et aussi longtemps que je serai en vie, clairement, l’enchantement vient rapidement se cogner le petit orteil sur un vieux caillou. Un de mes vieux tikkun bien connus refait surface… (tikkun; un concept issu de la Kabbale)

« Ai-je ma place ici ? Suis-je choisie ? »

Le bon vieux trauma relationnel se réveille et s’empresse de faire ce qu’il fait de mieux : alerter chacune de mes cellules d’un faux danger imminent, tout en capturant ma capacité à relativiser. 

Tel un été qui passe beaucoup trop vite… la douceur se transforme soudainement en peur. Un petit clignement de pensée et bam ! La poitrine se compresse et le souffle se coupe.

Puis, à peu près au même moment où je commence à sentir mon automne intérieur prendre de l’ampleur, et mes pensées corrosives chercher à s’abreuver dans la moindre situation non linéaire, mon médecin me convoque à Montréal. Tiens tiens, chère peur, j’ai comme le sentiment que tu vas avoir de nouvelles munitions sous peu.

« Émilie, tu fais de l’ostéoporose sévère. Ta colonne vertébrale est friable. Tu es une poupée de porcelaine. Tu dois commencer des injections le plus rapidement possible et faire le deuil du ski, du snowboard, du trampoline et de tous les autres sports qui te mettent à risque de tomber. Ah oui, et tu ne peux plus lever aucune charge. Pauvre toi, tu es vraiment malchanceuse ! »

Et juste comme ça, je venais d’apprendre que mon corps avait 112 ans. Malchanceuse ? Mais de quoi vous parlez ? Ça n’a rien à voir avec la chance, docteur. Je prends des bloqueurs d’hormones depuis cinq ans, bien sûr que mon corps paye le prix. La médication, prescrite par mes oncologues dans le but de prévenir une récidive du cancer, avait fini par donner raison à mes appréhensions. Ils avaient peut-être empêché le mauvais œstrogène de foutre le bordel dans mes cellules à nouveau, mais, comme je le craignais, ils m’avaient aussi fait vieillir prématurément. Très prématurément.

Tout d’un coup, je me sens chuter d’un arbre. Comme une feuille à l’automne. Une feuille assombrie et craquante. Prête à disparaître dans le sol.

En traversant le long corridor de la clinique pour retourner à ma voiture, je croise un ruban rose. “ Ben oui, ben oui, je sais, bientôt vous serez partout pour nous rappeler de nous tâter les seins! Allez-vous en profiter pour nous parler d’ostéoporose cette année? ”

J’observe ce Bandaid en forme de ruban rose nanane, ses commanditaires louches, ses bouteilles en plastique hypocrite et beaucoup beaucoup de sourires dissimulant ce que trop peu ose nommer : 1- l’urgence d’investir dans l’éducation de sa prévention et non seulement dans la recherche de nouveaux remèdes et, 2- le “Après”. 

À quel moment, dans mon parcours de guérison, on m’a avertie que le mot rémission ne voudrait pas dire “guérit” mais bien “longue réhabilitation post-traumatique solitaire puisqu’insoupçonné par le commun des mortels, y compris ton équipe médicale”.

La bonne nouvelle c’est qu’il me reste toujours le souffle. Le souffle d’une libellule. Ce souffle qui deviendra ma bouée de sauvetage dans cet océan d’anxiété dans lequel l’annonce de l’ostéoporose m’a replongée.

Mais l’ordalie ne s’arrête pas ici. Étant donné que la vie semble vouloir me convaincre que je suis capable d’en traverser, des épreuves, il y a une troisième feuille d’automne qui profite de la réactivation du trauma avec un grand C pour tomber, elle aussi… la feuille de l’épuisement.

Combien de fois est-ce humainement acceptable de trébucher sur la même maudite leçon, dans une vie ? Parce qu’il commence à être temps que je me rende à l’évidence : tout comme l’automne, ma feuille rouge et craquante semble elle aussi, vouloir tomber une fois par année, depuis que je suis entrepreneure. Ou serait-ce depuis la maladie? Difficile à dire puisque les deux sont arrivés en même temps. 

Quand j’étais petite, mon père me disait en riant que j’étais « dure de comprenure »… Est-ce qu’il serait temps que je commence à le croire ? Ou alors… est-ce justement parce que mon subconscient a trop pris cette vieille expression à la lettre qu’il m’empêche d’assimiler les enseignements rapidement ? OK, OK, j’arrête de faire des liens niaiseux (pas si niaiseux), promis.

Bref, « dure de comprenure » ou pas, c’est assez clair… je suis retombée dans le bon vieux piège de la performance et je me suis négligée, une fois de plus. J’ai écouté, guidé et aimé des dizaines et des dizaines de femmes dans les dernières années, pendant que je me mettais dans la même case que cette plante de salon qui réclame que je la transplante depuis deux ans… « C’est pas urgent, elle va attendre la plante, j’ai un loyer à payer, des gens à aider. » Mais pendant que tout est plus urgent que l’espace de vie de ma dite plante, sa réserve d’oxygène diminue, et diminue. Et un jour, elle ressemble à un vieux tas de feuilles craquantes. Oopsi. À force de l’avoir répété et répété aux autres, cet enseignement est devenu un vent lointain à mes propres oreilles.

« Faut que je paye mon loyer ! » ai-je dit des milliers de fois, tel le cordonnier le plus mal chaussé de l’histoire des cordonniers.

Je répète : combien de fois est-ce humainement acceptable de trébucher sur la même maudite leçon, dans une vie ? Et tant qu’à y être : à quel moment la spécialiste en système nerveux qui vit avec un niveau de stress olympien devrait considérer s’acheter de nouveaux souliers ? Hum. Ça y est, c’est dit.

P.S. Est-ce que tu savais qu’outre la baisse d’hormones féminines, une hausse chronique du cortisol peut aussi contribuer à l’ostéoporose ? Hum. Le cancer hormono-dépendant te confisque toutes tes précieuses hormones, amenant ton corps à se déssécher brutalement, puis le choc post-traumatique du face-à-face avec la mort configure tes cellules au danger et du coup, tes surrénales à la surproduction de cortisol. Tout est dans tout! Yé!

Le cortisol, l’allié du feu et l’ennemi du souffle. Tu es toujours là pour me préparer à la guerre, et pour nourrir mes élans créatifs aussi, mais à quel prix ? Celui du souffle profond et du rien. Ton soutien est transactionnel : je donne, je prends. « Voici votre extradose de cortisol, madame… vous me devez votre espace mental sain et régénérateur, votre homéostasie, et vos os solides, merci ! »

Jamais dans ma vie je n’aurais cru qu’un jour je me plaindrais de l’espace que la création occupe dans ma vie. La création a toujours été au centre de ma vie… c’est ma première forme d’expression, mon ancrage au féminin, ma médecine principale… c’est mon identité. Mon identité ? Oh oh ! C’est peut-être ici que la toxicité fait son entrée.

Si j’attache ma valeur à ma capacité à créer toujours plus et toujours mieux, bien sûr que ma « médecine » peut tout aussi bien devenir mon poison. Mais à quel point c’est contre-intuitif de repousser l’élan créatif au profit du rien ? Pourtant, c’est bien de ça que j’ai profondément besoin… rien. Des espaces vides. Un cerveau vide. De la lenteur. Est-ce chose possible quand on est entrepreneur ? Je me demande s’il y a des fleuristes qui embauchent dans mon village.

Mais bon, l’autre bonne nouvelle, c’est qu’à l’aube de mon hiver, qui ne sera pas seulement métaphorique et intérieur cette fois, mais bien réel… je vois clair. D’abord, mon raz-de-marée estival m’a fait réaliser à quel point j’ai besoin d’une saison d’hibernation, cette année. J’avais oublié, cher hiver, que tu ne servais pas seulement à me geler les os.

Puis, nos tikkuns ne sont pas signe d’échec, mais bien des phares évolutifs, des ancrages à l’humain que nous sommes. Telle que sa définition l’indique : « un processus de réparation ou de rectification de l’âme destiné à corriger des déséquilibres spirituels ou karmiques ». Je vois le tikkun comme étant la raison de notre incarnation. Ce n’est pas une roche dans notre soulier, ni même une défaite… mais un contrat d’âme.

Et je parle d’ancrage parce que je crois que ces contrats d’âme que nous sommes venus transcender ici servent aussi de points d’appui, en quelque sorte. Et, parce que je crois que la souffrance est un ancrage au vivant. Ish ! Je sais. Attention, je ne dis pas qu’il faut souffrir pour se sentir vivant, mais simplement que la peur de la mort (même inconsciente) trouve une certaine forme de réconfort au cœur de l’inconfort, propre aux êtres primitifs, bien vivants, que nous sommes.

Ensuite, toujours dans la catégorie des cadeaux qui ont émergé de mon gouffre saisonnier, je réalise aussi, à ma défense, que celle qui transporte la mission d’aider se doit de connaître les déclinaisons sournoises (et moins sournoises) de la peur, pour être en mesure d’éclairer le chemin vers son affranchissement. Mon humain ne fait pas de moi une mauvaise guide, il me permet de l’être. (Pour tous ceux et celles qui sont parfois envahis par un sentiment d’imposteur… gardez cette dernière phrase dans votre poche d’en arrière. De rien !)

Maintenant que ma ride du dernier mois a été nommée, il ne me reste plus qu’à me réaligner. Comment ? En m’engageant à détrôner (une fois de plus) la performance, au profit de mes trois priorités préférées :

  1. Connecté (avec mon cœur, puis avec celui des autres)

  2. Créer des espaces vides

  3. Cultiver la certitude

La certitude que je vais toujours arriver à payer mon loyer même si je choisis la lenteur et le rien, ici et là. La certitude que le chaos planétaire actuel est bel et bien une crise de guérison pré-transformation, et non l’apocalypse. La certitude que notre système de santé finira par déposer les armes et choisira, avec humilité, de s’allier aux solutions complémentaires déjà en place, plutôt que de s’obstiner à s’y opposer. La certitude qu’un jour, le mois d’octobre ne sera pas seulement orné d’un ruban scintillant, mais enrichi d’un plan d’action clair, informé et intelligent pour réellement faire reculer les statistiques du cancer du sein et pas seulement améliorer son dépistage. Et la certitude constante que je suis soutenue, guidée, protégée et que mon corps saura bien se régénérer.

Voilà. Me semble que c’est simple !

On se revoit à la prochaine visite de mon tikkun. D’ici là, je ferme mon ordi et je vais aller fixer un caillou dans le jardin du rien.

P.S. Merci, saisons, pour vos précieux enseignements. Je m’étais ennuyée.